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Le grand flou des logements « accessibles » aux handicapés

Les évaluations manquent, mais les normes que la nouvelle loi veut revoir à la baisse s’appliquent en réalité à une minorité d’appartements.

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Publié le 05 juin 2018 à 12h12, modifié le 20 septembre 2018 à 15h01

Temps de Lecture 6 min.

Après une année de débats, les députés et sénateurs se sont mis d’accord sur le texte de la nouvelle loi ELAN (évolution du logement et aménagement numérique), mercredi 19 septembre. La part de logements adaptés aux handicapés dans les programmes neufs a fait partie des points âprement discutés. Les députés avaient voté le pasage de 100 % de logements neufs accessibles aux personnes handicapées à seulement 10 %, les sénateurs avaient plaidé pour 30 %. Il y aura finalement 20 % de logements adaptés dans les constructiosn neuves, les 80 % restants devront être « évolutifs ». Les associations s’insurgent contre cette mesure. Explications.

Accessible, adaptable ou évolutif, quelle différence ?

Cette loi remet en cause le principe d’accessibilité universelle, qui prévaut dans la loi du 11 février 2005 sur le handicap. La convention des Nations unies sur les droits des personnes handicapées, ratifiée par la France, précise que ces dernières doivent avoir « la possibilité de choisir, sur la base de l’égalité avec les autres, leur lieu de résidence ». Il s’agit de rendre tous les locaux accessibles à tous les publics, sans créer de ghettos ou de quotas spécifiques pour les personnes déficientes ou à mobilité réduite. La généralisation des normes doit limiter le surcoût de départ et être profitable à tous : une rampe pour fauteuil roulant sert aux poussettes, des interrupteurs plus bas sont utilisables par les enfants…

Le code de la construction et de l’habitat définit en fait plusieurs niveaux d’accessibilité :

  • la « visitabilité » : un accès à partir de l’extérieur sans marche ni seuil, des couloirs et des portes larges permettant des débattements suffisants afin qu’une personne en fauteuil puisse accéder à la pièce principale et aux toilettes ;
  • l’« habitabilité » : la circulation doit être possible dans toute l’unité de vie, y compris vers les balcons et terrasses, et les équipements doivent être aménagés pour y vivre en autonomie (cuisine large ou ouverte sur le séjour, salle de bains et toilettes assez spacieuses, espace suffisant pour circuler autour du lit).

Un logement est considéré comme accessible lorsqu’il respecte toutes les règles. Pour autant, il ne répondra pas forcément aux besoins spécifiques de chaque handicap. Il faut encore qu’il soit « adapté », c’est-à-dire que des aménagements spécifiques puissent être facilement ajoutés pour les usagers : douche à l’italienne, barre d’appui, code couleur pour les malvoyants, sonnette pour les malentendants…

Quant à la notion de logement « évolutif », elle n’a pas encore été définie, mais devrait être précisée par décret, comme l’a dit la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel, sur RTL. Les détails ne sont pas encore connus. Il s’agirait de logements qui ne seraient pas directement accessibles à la construction, mais « modulables », c’est-à-dire transformables « avec des travaux faits très facilement et à moindre coût, et pas à la charge des personnes handicapées pour tout ce qui est du ressort des logements sociaux ».

Pourquoi modifier la norme actuelle ?

Une critique récurrente concerne le gaspillage d’espace induit par la norme handicapés, estimé à environ 5 mètres carrés par appartement. « Aujourd’hui, la salle de bains est très grande pour pouvoir circuler en fauteuil roulant, explique ainsi le secrétaire d’Etat auprès du ministre de la cohésion des territoires, Julien Denormandie, sur RMC. Mais quand vous êtes jeunes et en bonne santé, vous avez une salle de bains presque aussi grande que la chambre de vos enfants. Vous n’en avez pas l’utilité. »

L’objectif affiché du gouvernement est aussi d’alléger certaines normes pour « libérer la construction » de logements en réduisant leur coût. Pourtant, selon un rapport public de 2011 sur l’application des règles d’accessibilité, les « coûts induits (…) sont largement inférieurs aux coûts des exigences thermiques et d’autres réglementations, ainsi qu’à la hausse rapide des prix du foncier ou aux fluctuations des marges commerciales ». Le surcoût est estimé à 4 %, contre 8 % pour l’application de la norme thermique RT 2012.

La dépense pour rendre accessible un logement « évolutif » avec la nouvelle loi n’a pas été évaluée. Elle devrait être à la charge du bailleur pour les logements sociaux, et du propriétaire pour les appartements privés.

Quels types de logements sont concernés par des normes d’accessibilité ?

En réalité, seule une minorité de logements sont aujourd’hui soumis à ces contraintes. Tout d’abord, la loi ne concerne que les constructions neuves (environ 400 000 par an) ou les gros chantiers de rénovation et d’extension d’immeubles existants, et pas l’intégralité des 28 millions de logements français.

Même dans le neuf, la loi ne s’applique pas systématiquement :

  • la loi ne concerne pas les maisons individuelles construites par des particuliers pour leur propre usage, mais seulement celles destinées à être louées ou vendues ;
  • dans les logements collectifs, les ascenseurs ne sont pas obligatoires pour les immeubles de moins de quatre étages. Dans ce cas, seules les parties communes et les appartements du rez-de-chaussée doivent être totalement accessibles aux personnes en fauteuil roulant, les autres ne doivent être que « visitables » ;
  • même pour ces logements, des dérogations sont possibles. Selon un arrêté du 24 décembre 2015, les acquéreurs d’appartement sur plan peuvent demander des travaux modifiant l’aménagement intérieur (cuisine fermée, salle de bain plus petite, cloison déplacée). Seule obligation : que le salon reste accessible, et que la remise aux normes puisse se faire avec des travaux légers, c’est-à-dire sans devoir détruire de murs porteurs ou de gaine technique ;
  • enfin, dans les résidences étudiantes ou de tourisme, un décret de 2014 a déjà instauré un quota de 5 à 10 % de logements qui doivent être accessibles aux personnes handicapées.

Combien de logements sont accessibles aux personnes handicapées ?

Difficile de répondre à cette question. Dans un avis du 11 mai défavorable à la loi ELAN, le Défenseur des droits déplore les « lacunes dans la connaissance des besoins et de l’offre ». Le seul recensement est fait par les commissions d’accessibilité, dans les communes de plus de 5 000 habitants, mais le rapport déplore que « cette mesure [soit] peu effective par manque de moyens, et il ne semble pas exister d’estimation officielle à d’autres échelons ». Le Défenseur recommande donc que les bases de données sur la construction de logements neufs (Sitadel, RPLS) incluent ces informations.

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Dans le parc existant, nous n’avons pas trouvé d’estimation du nombre de logements répondant aux critères d’accessibilité. L’indication la plus pertinente est la présence d’un ascenseur dans les immeubles, mais cela ne signifie pas une absence de marches dans les parties communes, par exemple.

Concernant les logements en construction, si l’on additionne l’ensemble des situations particulières (maisons, immeubles sans ascenseur, résidences…), moins de la moitié sont en réalité soumis à la loi actuelle. Et encore, faute de données, nous n’avons pas retranché le nombre d’appartements situés entre le 1er et le 4e étage d’immeubles sans ascenseurs. A ce propos, le Défenseur des droits réclame, à l’instar de plusieurs associations, une évolution de la loi pour imposer des ascenseurs à partir des immeubles de plus de trois étages.

Combien de personnes sont concernées par la loi ?

Là encore, le flou persiste. Jean-Louis Garcia, président de l’Association pour adultes et jeunes handicapés (Apajh), estime qu’« au moins 800 000 personnes » ont besoin de logements accessibles. Selon les enquêtes handicap-santé menées par la DREES et l’Insee en 2008-2009, la France comptait 2,75 millions d’adultes présentant des limitations fonctionnelles, dont 1,86 million de handicapés moteurs.

Une étude plus ancienne, se fondant sur la précédente enquête (en 1999), estimait que plus de 400 000 personnes se déplaçaient en fauteuil roulant.

Mais ces données n’intègrent pas les enfants (plus de 350 000 élèves en situation de handicap sont recensés par l’éducation nationale), ni les personnes qui seront potentiellement concernées par une perte d’autonomie, et dont le nombre va augmenter. En 2018, on comptait près de 17 millions de personnes de plus de 60 ans, dont 3,9 millions de personnes âgées de plus de 80 ans.

Pour aller plus loin sur l'accessibilité des personnes handicapées

Les textes officiels : Loi du 11 février 2005, Convention des Nations-Unies sur les droits des personnes handicapées, arrêté du 24 décembre 2015.

Populations à risque de handicap et restrictions de participation sociale, par la DREES, à partir de l'enquête Handicap Santé (HSM, 2008).

Rapport sur les modalités d'application des règles d'accessibilité du cadre bâti pour les personnes handicapées par le Conseil général de l'environnement et du développement durable, l'Inspection générale des affaires sociales et le Contrôle général économique et financier, octobre 2011.

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